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11 Jan

On dirait le sud: Plein Sud de Sébastien Lifshitz

Publié par Sullivan Le Postec  - Catégories :  #Cinéma d'auteur, #Cinéma, #Critiques, #Sébastien Lifshitz, #Théo Frilet

Il faut que je sois honnête, c'est quasi-uniquement pour la perspective de revoir Théo Frilet (Un Jour d'été, Guy Moquet, Nés en 68, Des gens qui passent) sur grand écran que je suis allé voir au cinéma Plein Sud de Sébastien Lifshitz (Presque Rien, Wild Side). Au moins j'en ai eu pour mon argent.

Même si je ne serais pas aussi dur que la critique de Scenaristes.biz qui pilonne littéralement le scénario -- ce qui l'oblige, pour se racheter, à saluer une réalisation pourtant aussi faible que l'écriture. Même si certaines séquences sont jolies, la mise en image est très déficiente pour ce qui est de raconter une histoire, alors même que c'était la seule possibilité de faire un bon film d'après ce scénario timbre poste. Par exemple, la manière dont est filmé l'acte final du héros, en gros plan de coté sur un visage gardé inexpressif, selon la volonté du metteur en scène, lui ôte tout impact émotionnel, toute réelle portée. C'est caractéristique de ce film tout entier d'une froideur extrême, qui gâche le grand talent d'une distribution épatante (Théo Frilet, Léa Seydoux et Nicole Garcia sont formidables de justesse) par cette approche déshumanisée.

Elle n'est pas spécialement nouvelle chez ce réalisateur: le parcours psychologique du personnage de Jérémie Elkaïm dans Presque Rien ne brillait pas non plus par sa clarté. Justement parce que Plein Sud bénéficie de comédiens d'un autre calibre qu'Elkaïm, la vacuité de ce qu'on leur donne à se mettre sous la dent est très apparente, et en fin de compte irritante.

Plein Sud contient en lui un court-métrage intéressant : le tout premier flash-back, la confrontation finale et, entre les deux, le trajet, et l'arme de la vengeance ruminée. 25 minutes en visant large. Pour passer de cela au long, Lifshitz empile mille digressions : multiplications de flashes-backs qui sont parfois de jolies scènes, mais n'apportent jamais rien au récit, multiplications d'auto-stoppeurs et d'intrigues tertiaires sans intérêt (la grossesse de Léa, sa relation avec le 4e auto-stoppeur), multiplications des étapes (la gare désaffectée, la plage). Loin de combler le vide, cette profusion le met en valeur, et fait perdre le peu de clarté que le récit assez anémique avait au départ. Lifshitz en vient à filmer un remake de la fameuse scène d'amour dans les dunes de Presque Rien pour insuffler un peu de vie au récit.

En voulant conjuguer le drame sociale à la française à une esthétique américaine, Sébastien Lifshitz ne parvient malheureusement qu'à réunir le pire des deux mondes. Son histoire est désespérante de banalité et de faiblesse de enjeux (le climax, presque sauvé par l'interprétation de Nicole Garcia, aurait fait une excellente séquence au milieu ou aux deux-tiers d'un film, mais comme conclusion...). Sa photographie colorée, sa mise en valeur de la beauté des acteurs, puisqu'ils ne sont au service de rien, finissent par irriter et par se rapprocher d'avantage, par leur coté m'as-tu-vu creux, du clip (fauché) que du grand cinéma américain.

Il est amusant, tout de même, de voir la critique française tomber à bras raccourci sur cette volonté d'esthétisme, en la dénonçant non pour sa vacuité, mais bien pour son intention. L'élite qui ausculte le cinéma français reste donc imprégnée d'une culture qui dit que si c'est joli, c'est forcément mal ou mauvais. Quand je vois le critique des Inrocks écrire qu'il est impossible de s'identifier aux personnages pour la simple raison qu'ils sont beaux, je me demande sur quelle planète il a vécu ces trente dernières années, pendant que le cinéma et les séries venues d'Hollywood triomphaient en France, et pendant que le cinéma français périclitait justement parce qu'au bout d'un moment il devient impossible de s'identifier à tant de grisaille et de misérabilisme. Ce n'est donc surement pas encore pour tout de suite qu'en France, la culture pourra redevenir populaire...

Amusant, aussi, alors que pratiquement pas un film français ne sort qui ne montre pas une actrice à poil, de constater que tous les réalisateurs, de Lifshitz à Gaël Morel, qui tentent de montrer le corps masculin autrement que comme une sorte de gros tas moche se font inévitablement moquer pour cela.

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